Eric Andrieu, député européen socialiste Eric Andrieu, député européen socialiste (Sud-Ouest), membre de la Comagri
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Vous avez succédé à Stéphane Le Foll comme député européen et membre de la Comagri. Comment avez-vous vécu votre rôle de colégislateur ?
Je suis arrivé en juin 2012. J'ai eu un mois pour travailler sur les amendements de la réforme de la Pac. C'était une séquence assez intense car je n'avais pas participé à la phase préliminaire des discussions. Cela a été une belle expérience humaine.
Nous sommes trois Français à la Comagri (ndlr : avec Dantin et Bové). C'est un privilège d'être en lien direct avec le ministre, au-delà de nos appartenances politiques. Les allers et retours étaient permanents pour faire avancer les causes communes à la fois lui, au Conseil et moi, au PE. A mon niveau, j'ai l'impression qu'on est arrivé à faire bouger pas mal des lignes.
La surprime des premiers hectares est mon premier succès. Pour mieux redistribuer les crédits, la Commission proposait un plafonnement à 300.000 euros. José Bové a déposé un amendement pour les plafonner à 100.000 euros. Moi, après avoir fait le tour de bon nombre de députés, je me suis rendu compte que cela ne passerait jamais. J'ai déposé un amendement pour un plafonnement intermédiaire à 200.000 euros. Cet amendement a été rejeté en séance plénière au PE de deux voix. Malgré tout, j'ai la satisfaction d'avoir fait bouger les lignes. C'était impensable il y a quelques années. Parallèlement, on avait travaillé avec Stéphane Le Foll sur la surprime. J'ai fait un amendement en ce sens. Je suis allé convaincre Capoulos Santos de son bien-fondé. Cela n'a pas été simple. Mais l'idée a pris sa place petit à petit à la fois chez le rapporteur mais également chez les « shadows-rapporteurs » des autres groupes. Et finalement aussi au Conseil grâce au travail du ministre de l'Agriculture.
Autre exemple : j'ai fait introduire des mesures importantes sur la spécificité méditerranéenne. Sur la question de l'incendie qui n'était pas du tout prévue dans les textes initiaux de la Commission. Nous sommes arrivés à introduire dans les textes la prise en compte du pâturage des animaux dans les sous-bois avec des aides spécifiques. La proposition de la Commission sur les zones de pâturage se limitait initialement aux seules prairies naturelles, excluant beaucoup d'éleveurs. La Comagri est aussi responsable de la réintroduction du couplage des aides. De mon côté, j'ai tout particulièrement insisté sur les zones de piémont. Nous avons pu libérer les 13 % de couplage pour préserver la diversité des agricultures. Et 2 % supplémentaires sur les protéines végétales. J'avais proposé des amendements pour les réintroduire avec plus de force. Il a fallu faire des compromis.
Du fait du scrutin proportionnel, aucun groupe politique n'est majoritaire au sein du PE. Alors, comment se construisent les majorités sur un texte ?
Nous avons très bien travaillé avec Michel Dantin, sur 80 % des sujets. Nous sommes empreints de la même vision. Sur les sujets sociétaux et les visions de l'UE, il y a un véritable clivage. Mais quand on est sur le concret, si j'ai un problème sur la viticulture méridionale et que je pense par exemple qu'il faut qu'on revienne sur la question de l'enrichissement du vin, Michel Dantin entend. Il votera mon amendement, même si les membres de son groupe ne le font pas. Ce sont des compromis de l'ordre technique. Sur les OGM, il y a de grosses discussions. Sur les semences, thème que l'on va aborder à l'automne, je pense qu'on ne sera pas d'accord. Mais dans 80 % des sujets techniques nous sommes en phase.
Quelles sont les priorités de la prochaine mandature ?
La question de la spéculation des matières premières agricoles est un véritable enjeu. Aujourd'hui, les spéculateurs mondiaux profitent de la volatilité croissante des marchés agricoles comme si c'étaient de simples actifs. Ce jeu cynique a amplifié le déséquilibre qui, en fait, résulte d'une inadéquation entre l'offre et la demande. Il faut y amener des réponses dans les mois qui vont arriver. Par le jeu des rapports d'initiative, des questions parlementaires... il faut inciter la Commission à appréhender ces problèmes de fond. Nous nous devons dans l'agriculture et l'alimentaire se poser ces questions : spéculation, politiques publiques, sécurité alimentaire (OGM, traçabilité...).
Evidemment, il faut aussi aller beaucoup plus loin sur la réforme de la Pac. C'est pour cette raison que j'ai déposé le rapport d'initiative sur le développement rural pour, dès maintenant, penser la prochaine réforme différemment. Dans la Comagri, il y a beaucoup d'agriculteurs-députés, sensibilisés par l'agriculture, mais peu ont la notion de développement rural. Ce rapport a été un vrai sujet de discussion au sein de la Comagri qui a permis de faire bouger les lignes. Pour montrer que la notion de territoire a évolué. Il le faut dès maintenant. La Pac ne répond pas non plus à la question du gaspillage alimentaire. Aujourd'hui, on ne sait pas gérer 30 % de ce que l'on produit. Je suis en lien avec les associations caritatives et je mesure l'inadéquation du système. On se doit d'amener à la fois des réponses globales (choix de continent – intervention publique). Il faut en permanence trouver l'équilibre entre local et global.
La sécurité alimentaire est une autre priorité. Pourquoi l'étiquetage des viandes sur les plats cuisinés n'est pas encore obligatoire ? Des lobbys puissants interagissent. C'est inacceptable. Le parlementaire est là pour garantir la sécurité du consommateur. On ne peut pas laisser faire n'importe quoi. Attention à ne pas se faire influencer par des lobbys qui n'ont pas les mêmes objectifs que les nôtres.
En cette veille électorale, quel message passeriez-vous aux agriculteurs ?
D'abord, qu'ils aillent voter. Et qu'ils aillent voter en conscience. On va élire des députés européens. Ils doivent regarder quels parlementaires ont oeuvrés dans le cadre de la réforme de la Pac, lesquels ont été à leur écoute. En revanche, nous n'avons pas besoin de député absent au PE. J'entends bien les agriculteurs qui veulent vivre des prix de leur production. Mais il faut qu'ils prennent conscience que l'économie agricole est mondialisée. Et que sans outils de régulation, ils ne pourraient pas vivre de leurs produits. L'enjeu est de mettre en place des outils de régulation pour qu'ils continuent à vivre de leur production décemment (mieux réguler les marchés à l'échelle mondiale, prévoir des stocks mondiaux de sécurité, plus de transparence sur des flux de produits agricoles et agroalimentaires...). Il faut éviter le repli sur soi et mesurer la force que représente l'UE aujourd'hui. Trois chiffres pour vous convaincre : 70 millions de Français, 570 millions d'Européens et 1,4 milliard de Chinois ou d'Indiens. Le siècle qui est devant nous est celui des Etats-continents. Il faut une échelle qui nous permette de créer des rapports de force. Celle de l'UE est certainement la bonne.
Site : www.eric-andrieu.eu
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